Le premier robot humanoide de l'histoire s'appelle Talos. Selon ce mythe, vieux de plus de vingt-huit siècles, Héphaeste, dieu du feu, de forgeage et de métaux, et un artisan de génie, a créé ce géant de bronze pour servir le roi Minos en tant que gardien de la Crète. Trois fois par jour, Talos fait le tour de l'île, jetant des pierres sur des navires étrangers pour les empêcher d'accoster. Si des marins parviennent à atterrir, il les brûle en les embrassant sur sa poitrine rouge-feu. Mais Talos est plus qu'un simple robot mortel : il distribue aussi la justice à la campagne, en utilisant des tables de bronze de la loi qu'il porte avec lui. Il a donc aussi l'intelligence.
Ce mythe, considéré depuis longtemps comme une partie mineure de la théogonie grecque, a pris une toute nouvelle dimension à notre époque. Bien qu'elle manque d'une grande crédibilité scientifique, l'histoire de Talos nous ramène longtemps à l'idée de créatures plus ou moins dans l'image de l'Homme, mais servile, même infatigable, utilisée pour accomplir toutes les tâches dont les humains veulent se débarrasser. L'étymologie du robot, dérivée du «robota» tchèque, qui signifie «chore» et «esclave» dans le vieux slave, est sans équivoque.
Cependant, avec l'aide de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique, la robotique ouvre de nouvelles perspectives pour l'humanité, à la fois prometteuses et effrayantes.
Mais il y a une façon plus sombre de voir l'avenir d'un monde dominé par la robotique et l'intelligence artificielle. Isaac Asimov, à la fois écrivain et scientifique de science-fiction, prévoyait les dangers potentiels de la robotique et a proposé trois lois pour s'assurer que ce progrès technologique ne finirait pas par nuire à l'humanité[1].
Alors que le cerveau humain est limité dans son développement par le crâne, l'intelligence artificielle peut se développer à l'infini. Tout dépend des intentions et des choix de ceux qui la construisent, des pouvoirs à leur disposition et des objectifs qu'ils se sont fixés. Toutes ces perspectives sont une source d'anxiété pour tous ceux qui se demandent ce qu'ils deviendront dans un monde où l'homme pourrait perdre le contrôle de son propre destin.
Ces perspectives passionnantes, ainsi que ces préoccupations légitimes, rétablissent le rôle de la politique, qui a la lourde responsabilité d’anticiper et de prévenir les risques que ces technologies pourraient présenter – en un mot, pour réguler. Les questions de civilisation doivent primer sur les considérations économiques, qui doivent être subordonnées à celles-ci. Pour ce faire, plus que jamais, nous avons besoin de stratèges capables de planifier à court, moyen et long terme.
Il faut dire qu'en France, nous avons beaucoup de progrès à faire en matière d'anticipation. Il suffit de regarder à quel point nous avions peu de contrôle sur l'épopée d'Internet pour conclure qu'il est grand temps que nous fassions des progrès dans ce domaine. Un sommet sur l'action pour l'intelligence artificielle se tiendra à Paris en février prochain, et c'est une excellente nouvelle. Mais ce n'est pas suffisant.
Nous devons faire plus que nous simplement parler, analyser et théoriser. Nous devons d'urgence anticiper et évaluer les évolutions futures, afin de déterminer leurs avantages et leurs risques. Nous devons donc être très clairs sur ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Ensuite, nous devons agir, et vite.
Nous devons planifier pour accroître l’investissement dans l’innovation, en particulier dans la robotique et l’IA, afin que – si cela soit encore possible – nous ne parsauts pas derrière les principales nations. Une telle ambition exige un plan de relance massif.
De l'autre côté de l'Atlantique, pendant la campagne électorale américaine, les débats ont à peine abordé le problème de la dette et des déficits, car aux yeux des candidats, ils n'étaient pas essentiels compte tenu des défis technologiques.
Au Japon, la dette, qui devrait dépasser 260 % du PIB dans les années à venir, ne concerne pas tant les observateurs que les observateurs, car plus de 90 % d'entre elles sont détenues par la Banque du Japon et les citoyens japonais, et est massivement consacrée à l'innovation. Dans notre pays, 53,2 % [2]de la dette sont détenues par des investisseurs étrangers, de sorte que nous n'avons pas le contrôle total sur celle-ci. Plus que son ampleur, c'est sa nature qui pose un problème, et ce que nous faisons avec tout l'argent que nous empruntons.
Pour qu'un plan de reconstitution soit au premier chef, nous devons avant tout revenir à une véritable réflexion et planification, comme nous les avons connues dans le passé, et restaurer le lustre du Haut Commissariat au Plan. «Les pays qui pensent à leur avenir sont en avance sur le jeu. Une nation a le droit de savoir où elle va», a déclaré à juste titre François Mitterrand.
Nous devons alors choisir les secteurs sur lesquels la reprise se concentrera, et ne pas courir le risque de donner de l'argent aux entreprises qui vont délocaliser et pratiquer l'optimisation fiscale, comme nous l'avons vu avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont une grande partie est allée aux actionnaires, ou avec la réduction de l'impôt sur la fortune (ISF).
Nous devons également être en mesure de tirer parti des compétences humaines appropriées, étant donné que, selon une étude publiée par Dell et l'Institut pour l'avenir, 85 % des emplois de 2030 n'existent pas encore. Étant donné que les organisations des secteurs public et privé sont toutes appelées à s'adapter à l'âge de l'IA, elles doivent rapidement définir leurs besoins à court et à moyen terme et à recruter les compétences essentielles.
Cela signifie recruter des ingénieurs rapides, des concepteurs d'AI UX et des gestionnaires d'IA éthiques, qui étaient tous inexistants il y a deux ou trois ans. Il y a là aussi un besoin urgent, étant donné le manque d'intérêt des jeunes Français dans les disciplines scientifiques.
Tous ces efforts et toutes ces promotions de l'excellence seront vains si nous ne sommes pas vigilants vis-à-vis de la cybersécurité de l'IA. En soulignant que les outils d'IA restent des composantes du système d'information, le PDG de Thalès, Philippe Caine[3], attire à juste titre notre attention sur les risques d'extraction d'informations confidentielles ou de manipulation de modèles. Là aussi, il n'y a pas de place pour l'erreur.
La France sera-t-elle en mesure de faire le chemin vers l'excellence seule, alors que tant de terrain a déjà été perdu ? C'est douteux. Ensemble, les entreprises et les gouvernements européens doivent se doter de ressources informatiques considérables pour former et exploiter des modèles d'IA à grande échelle. En l'état actuel des choses, cependant, le superordinateur le plus puissant du continent, Jupiter, trouve qu'il est très difficile d'être le maître des horloges, face à des rivaux tels que xIA.
Seule la promotion de l’excellence dans le domaine de l’IA peut renforcer le potentiel de l’Europe, et celle de ses membres, et lui permettre de faire face à la concurrence mondiale. Parce qu'il s'agit d'une (r)évolution majeure dans l'histoire de l'humanité, l'IA (et sa maîtrise) joue un rôle essentiel au cœur de la géopolitique.
Dans le mythe minoen, Talos, comme Achille dans l'Iliade, s'effondre pour une simple faiblesse dans son talon qui échappe à son créateur. Il serait dommage que le Vieux Continent, après avoir sous-estimé les enjeux de l'IA, subisse le même sort.
1. Loi no 1: un robot ne peut pas nuire à un être humain ou, en restant passif, permettre à un être humain d'être exposé à un danger;
Loi no 2: un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, à moins que ces ordonnances ne soient contraires à la première loi;
Loi no 3: un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.
[2]https://www.vie-publique.fr/en-bref/294571-disque-qui-detient-la-dette-francaise
[3]3 Pas d’intelligence artificielle sans cybersécurité, Les Échos du 12 décembre 2024
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